L’intrigue est relativement simple: un groupe d’hommes se lance dans un voyage mystique, accompagné de leur serviteur Léo, qui motive et entretient le groupe par son chant et son dynamisme. La disparition de Léo provoque la dislocation du groupe et l’interruption du voyage. Des années plus tard, le narrateur de l’histoire découvre que Léo était en réalité le chef de l’ordre qui avait sponsorisé le voyage. Il n’était pas seulement un serviteur, mais l’esprit directeur, leur grand chef. Greenleaf a vu dans cette histoire des parallèles avec le monde de l’entreprise.
Le serviteur comme leader
Inspiré par l’histoire de Hesse, il a écrit un essai qui a marqué un nouveau style de direction: «The Servant as Leader» (le serviteur comme leader). Greenleaf y défendait le point de vue suivant: «Le leadership serviteur se concentre en premier lieu sur le service aux autres [...] Le chemin vers le leader serviteur commence par le sentiment naturel de vouloir servir et d’en faire sa tâche principale. La décision consciente conduit ensuite à vouloir diriger».
Robert K. Greenleaf est né à Terre Haute, dans l’Indiana, et est diplômé du Carlton College dans le Minnesota. Il a ensuite travaillé pendant 40 ans dans le management au sein du groupe téléphonique nord-américain AT&T, où il s’est occupé entre autres du développement et de la formation du management. Il a ensuite travaillé pendant 25 ans comme consultant et professeur invité pour des entreprises, des instituts, des associations et des universités de renom, notamment à la Harvard Business School et au MIT, Massachusetts Institute of Technology.
Une compréhension enthousiasmante du leadership
Greenleaf a fondé en 1964 le «Center for Applied Ethics» afin de promouvoir la prise de conscience, la compréhension et la pratique de ce style de leadership dans les entreprises et chez les individus. En 1984, ce centre a été rebaptisé «The Robert K. Greenleaf Center for Servant Leadership».
Il a présenté son point de vue et ses expériences dans une série de publications sous le leitmotiv «The Servant as Leader». Ainsi, Schnorrenberg considère l’objectif de Greenleaf comme une incitation «[...] à une nouvelle pensée et action en faveur d’une société meilleure, c’est-à-dire plus soucieuse». Greenleaf a également enthousiasmé des scientifiques, des conseillers en management et des entrepreneurs de renom, comme Peter F. Drucker, Peter Senge, Warren Bennis, Ken Blanchard et d’autres.
Serviteur de ses subordonnés
L’idée centrale est que la vraie grandeur et la vraie compétence de commandement naissent de la reconnaissance du fait qu’un grand leader doit toujours être au service de ses subordonnés. L’approche du leadership serviteur est aujourd’hui largement répandue, en particulier aux États-Unis. Ainsi, des groupes d’envergure mondiale comme Starbucks ou 7Eleven prônent depuis longtemps une culture de direction ouverte et orientée vers les collaborateurs.
Howard Behar, ancien président de Starbucks, a justifié sa conviction du principe du leadership serviteur par ces mots: «J’avais développé de fortes convictions sur l’importance de l’engagement des employés dans la construction d’une entreprise réussie et d’une organisation durable».
Des caractéristiques telles que l’empathie, la confiance, l’authenticité et la modestie comptent parmi les qualités typiques du leadership serviteur. Cependant, d’autres prémisses sont également soulignées, comme la volonté importante d’un dirigeant de s’autoréguler.
Le point central de cet appel est que le développement en tant que leader implique toujours le développement de son propre caractère. David Marquet, membre de l’US Navy et capitaine de sous-marin, a par exemple réussi à établir un style de commandement considéré comme totalement incompatible avec l’armée, qui représentait un rejet sans compromis de l’obéissance aveugle aux ordres.
Give them control and create leaders
Au lieu de se contenter de donner des ordres, il a formulé des propositions et a commencé à poser des questions à son équipage et à l’impliquer dans les décisions. Marquet a complètement redéfini son rôle de capitaine et défend depuis lors l’opinion suivante: «Create the environment for thinking. [...] Donnezleur le contrôle et créez des leaders» (Marquet 2015).
Il a réussi à faire de son bateau l’un des plus performants de la flotte. La décision de se changer soi-même en premier lieu et d’ouvrir ainsi à ses subordonnés une toute nouvelle marge de manoeuvre participative est un bon exemple de la manière dont les dirigeants peuvent créer une valeur ajoutée pour des groupes plus importants.
Le leadership de service s’oppose ainsi aux hypothèses traditionnelles des principes de leadership traditionnels. Elle ne se contente pas de simplement diriger ses subordonnés, au sens de leur donner des instructions, de les contrôler et de les déléguer. L’approche consiste plutôt à se demander, du point de vue d’un dirigeant, ce qu’il peut faire pour que les personnes qu’il dirige puissent développer au mieux leurs différents potentiels. Il s’agit là d’une tâche essentielle pour les véritables bons dirigeants: comment font-ils évoluer leurs collaborateurs, comment les amènent-ils au niveau supérieur?
Pertinence et importance du leadership de service
La structure des valeurs de la société occidentale se caractérise par une érosion progressive des valeurs fondamentales classiques. La recherche exclusive de la maximisation du profit et du maintien du pouvoir individuel remplace de plus en plus l’éthique, la morale et l’empathie pour le bien-être de la société. La croissance effrénée et la maximisation du profit ne peuvent pas être les seules réponses aux problèmes sociaux et économiques.
Les effets de ces évolutions sont de plus en plus évidents et se reflètent souvent dans l’incapacité des entreprises à créer une culture d’entreprise qui ait un sens pour atteindre des collaborateurs émotionnellement engagés. Les enquêtes régulières menées dans le cadre du Gallup Engagement Index allemand montrent qu’en 2022, seuls 13% de tous les collaborateurs en Allemagne présentaient un lien émotionnel élevé. Cela représentait une baisse de quatre points de pourcentage par rapport à 2021 (Gallup, 2023). En Suisse, la situation est assez similaire. En effet, seul un sondé sur dix (11%) est émotionnellement très attaché à son employeur actuel en Suisse. La plupart des Suisses font leur travail selon les règles et ont un faible attachement émotionnel (79%). Et 10% ont même démissionné intérieurement et ne sont plus attachés à leur employeur.
Perte de productivité due à des collaborateurs insatisfaits
L’économie allemande coûte à elle seule entre 118,1 et 151,1 milliards d’euros par an en pertes de productivité. Seul un quart des employés allemands se disent entièrement satisfaits de leur manager. Le faible niveau d’attachement émotionnel favorise la volonté des collaborateurs allemands de changer d’employeur. Il s’agit là d’un défi de taille pour les entreprises allemandes, qui doivent de toute façon faire face à une pénurie de main-d’oeuvre.
C’est pourquoi les entreprises doivent prendre des mesures pour améliorer les compétences de leurs cadres afin de créer un environnement de travail motivant pour les collaborateurs et de les enthousiasmer pour leur travail. Dès 2007, Hans H. Hinterhuber a appelé à la mise en place d’un nouveau système de valeurs dans lequel les collaborateurs seraient traités avec plus de respect et d’équité et où leur confiance pourrait être regagnée grâce à l’intégrité et au renforcement d’une culture positive sur le lieu de travail (Hinterhuber, 2007). Le concept de leadership serviteur, en particulier, contient un tel système de valeurs qui apporte une réponse adéquate à la discussion sur la nécessité d’une culture d’entreprise orientée vers le sens et les collaborateurs.